Quand la robotique made in France investit les laboratoires et les blocs opératoires
Ces dernières années, les lignes se brouillent entre innovation technologique et recherche biomédicale. En France, la robotique, historiquement liée à l’industrie manufacturière et à l’automobile, investit désormais massivement le champ de la santé. Derrière cette mutation, une certitude : la médecine du futur se construit avec des bras mécaniques, des algorithmes d’aide à la décision et des plateformes autonomes capables de révolutionner diagnostic, chirurgie ou production pharmaceutique.
En 2024, le mouvement s’accélère. L’écosystème biotech français montre un engouement croissant pour l’intégration de la robotique, et les levées de fonds suivent. Examinons de plus près les dynamiques de ce virage technologique, et les acteurs industriels qui structurent le paysage national.
Une convergence fertile entre intelligence mécanique et sciences du vivant
La robotique appliquée à la santé ne se limite plus aux pinces de précision dans les blocs opératoires. Après la miniaturisation des composants et les prouesses en intelligence artificielle, le champ des possibles s’est élargi : robots autonomes pour la préparation de médicaments, automation des flux logistiques en pharmacie hospitalière, compagnons d’analyse dans la recherche préclinique… La synergie est devenue stratégique.
Ce croisement entre robotique et biotechnologies s’inscrit dans une logique d’optimisation des coûts, fiabilisation des gestes médicaux et accélération des délais de mise en marché. Une nécessité dans un secteur sous tension à la fois sur le plan humain et économique.
Question de vocabulaire : parle-t-on ici de “robo-médecine”, de “biotech augmentée” ou d’“automatisation intelligente” ? Peu importe l’appellation, le résultat est tangible : un nouveau marché est en train d’éclore, et la France ne compte pas rester spectatrice.
Vers une nouvelle génération de robots chirurgicaux hexagonaux
Le secteur de la chirurgie robotisée reste, à l’échelle mondiale, appelé à une croissance continue : selon les prévisions de Fortune Business Insights, le marché pourrait atteindre 18 milliards de dollars en 2027. Si l’Américain Intuitive Surgical a longtemps dominé ce domaine avec son robot Da Vinci, la concurrence s’organise — et notamment en France.
C’est le cas d’Aeon Robotics, toute jeune startup parisienne incubée chez Agoranov, qui développe une plateforme modulaire pensée pour les actes mini-invasifs. Avec une levée d’amorçage de 5 millions d’euros en décembre 2023, la société s’est donnée les moyens de développer ses prototypes cliniques et de sécuriser ses premiers accords hospitaliers.
De son côté, Quantum Surgical, spin-off montpelliéraine de Medtech (ex-bras robotisé ROSA, racheté par Zimmer Biomet en 2016), a récemment franchi un cap stratégique. Son robot Epione, dédié à l’ablation de tumeurs abdominales par voies percutanées, est en phase d’industrialisation. Appuyée par un tour de table de 40 millions d’euros en 2022, l’entreprise affiche désormais des ambitions internationales. Elle vise notamment une expansion aux États-Unis, marché ultra-concurrentiel mais porteur pour les technologies d’assistance interventionnelle.
Dans les laboratoires, l’automatisation s’intensifie
En bioproduction comme en R&D, la composante robotique devient un maillon structurant. Des entreprises comme Elvesys, spécialisée en microfluidique, ou Bioserenity, tournée vers les dispositifs médicaux connectés, intègrent des modules robotisés dans leurs processus expérimentaux pour aller plus vite sans sacrifier la reproductibilité des résultats.
La startup rennaise Robocell, issue d’un projet mené au sein de l’INRIA, a quant à elle développé des “mini-labos autonomes” embarquant pipetage automatisé, optique adaptative et analyse en flux. Destinés aux CROs et plateformes de screening, ces dispositifs visent à diminuer drastiquement la durée des campagnes expérimentales de criblage. Avec des premiers contrats signés dès 2023 avec des instituts publics comme l’Inserm, Robocell illustre bien le repositionnement d’une robotique jadis cantonnée à l’industrie lourde vers des usages scientifiques à haute valeur ajoutée.
Les grandes infrastructures de recherche, elles aussi, suivent la tendance. L’Institut Pasteur a récemment publié une feuille de route “Digital Lab 2030” intégrant robotisation, IA et reconnaissance d’image dans ses workflows d’analyse cellulaire. Le but ? Standardiser les protocoles, réduire les biais humains et libérer un temps précieux pour les chercheurs.
Robotique et production pharmaceutique : une mutation inéluctable
Au cœur des enjeux industriels liés aux biotechnologies, la robotique joue aussi un rôle de plus en plus critique dans la chaîne de bioproduction. En particulier dans les usines de demain, qui devront conjuguer agilité, régularité et conformité réglementaire stricte (GMP, GMP annex 1…).
À cet égard, on note l’émergence de projets “fabriques modulaires automatisées”, portés en France par des acteurs comme Cell-Easy (Toulouse) ou TreeFrog Therapeutics (Pessac), spécialiste des cellules souches encapsulées. Ces dernières investissent dans des lignes de production guidées par robots collaboratifs, censés assurer une culture cellulaire en continu avec une traçabilité impeccable.
L’objectif est clair : détourer les ruptures d’approvisionnement, alléger la dépendance à l’Asie sur certains segments et, in fine, sécuriser les chaînes de valeur biomédicales. Dans cet horizon, la robotique n’est plus un luxe technologique mais un impératif stratégique.
Startups, institutions et industriels : un écosystème en structuration
Cette ruée vers la robotisation de la médecine ne se fait pas de manière isolée. Des pôles comme BioValley France ou le cluster Lyonbiopôle intègrent désormais explicitement la robotique dans les appels à projets collaboratifs. L’objectif : faire dialoguer les startups innovantes, les CHU porteurs de projets pilotes et les industriels piliers (Saint-Gobain Life Sciences, EFI Automotive, etc.).
Par ailleurs, le plan France 2030, avec sa composante santé de 7,5 milliards d’euros, mentionne explicitement l’automatisation des procédés de production biopharmaceutique comme un levier de souveraineté. Une aubaine pour les jeunes pousses agiles mais aussi pour les PME roboticiennes en quête de diversification sectorielle.
On observe aussi un regain d’intérêt des investisseurs institutionnels pour des segments autrefois jugés trop “industriels” pour les fonds santé. Chez Kurma Partners ou Sofinnova, l’année 2024 marque un infléchissement clair : des nouveaux véhicules d’investissement orientés vers les technologies deeptechs à impact appliquées à la santé voient le jour. La robotique y figure en bonne position.
Un potentiel encore sous-exploité ?
Wandercraft, Dust Mobile, Exotec : les exemples de réussite ne manquent pas lorsqu’on parle de robotique tricolore. Mais sur le versant médical, le potentiel reste partiellement inabouti. Le transfert technologique depuis la recherche publique vers le secteur privé reste perfectible, tout comme la formation croisée entre ingénieurs mécaniciens et biomédicaux. Et face au rouleau compresseur de certaines puissances asiatiques, les défis de souveraineté sont majeurs.
Mais les signaux sont forts. Une génération d’innovateurs croit dur comme fer que l’avenir de la santé se joue aussi dans les lignes de code et les articulations mécaniques. Et les patients, eux, sont de plus en plus enclins à accepter la présence d’un bras robotisé dans leur parcours de soin — dès lors qu’il est synonyme de sécurité accrue et de précision optimale.
Alors, qui posera demain la main sur l’épaule du chirurgien ? Peut-être pas un confrère, mais un cobot made in France. Et ce ne serait pas forcément une mauvaise nouvelle.
