S’il y a un indicateur révélateur de la maturité de l’écosystème biotech français, c’est bien le dynamisme de sa scène startup. Portées par une recherche académique d’excellence, un tissu industriel qui s’organise et des investisseurs de plus en plus audacieux, certaines jeunes pousses tricolores n’ont clairement rien à envier à leurs homologues de la Silicon Valley ou de Tel-Aviv. En 2024, plusieurs d’entre elles se démarquent par la pertinence de leur approche scientifique, la clarté de leur modèle économique et leur capacité à transformer une promesse technologique en produit à fort impact.
Voici cinq start-up biotech françaises à surveiller de près cette année — des entreprises qui, à différents stades de développement, incarnent l’avenir d’une biotechnologie pragmatique, innovante et résolument business-driven.
TreeFrog Therapeutics : l’espoir de la thérapie cellulaire à grande échelle
Implantée à Bordeaux, TreeFrog Therapeutics repense fondamentalement la production de cellules souches pluripotentes induites (iPSC). Son innovation : un procédé propriétaire de culture tridimensionnelle baptisé “C-Stem”, capable de générer à grande échelle des cellules souches tout en maintenant leur stabilité génomique.
Pourquoi est-ce important ? Parce que l’un des plus grands freins au développement industriel de la thérapie cellulaire réside précisément dans cette mise à l’échelle, entre exigences de qualité pharmaceutique et problématiques de coût. En s’attaquant à ce goulot d’étranglement, TreeFrog devient un chaînon manquant entre recherche translationnelle et production GMP.
En 2023, l’entreprise a levé 100 millions d’euros pour accélérer la mise au point de ses candidats thérapeutiques, notamment en neurodégénérescence. Elle a depuis conclu plusieurs partenariats stratégiques, y compris à l’international. Un nom à suivre de très près, d’autant que la production cellulaire est une brique que de nombreux acteurs pharmaceutiques cherchent à internaliser.
Adiposs : une startup qui voit la graisse là où les autres ne la détectent pas
Spin-off de l’Université de Genève mais désormais basée à Paris, Adiposs mise sur l’imagerie médicale pour améliorer la prédiction de la réponse aux traitements contre le cancer. Sa technologie, baptisée ImageBAT, permet de visualiser en temps réel la graisse brune — un biomarqueur jusqu’ici invisible aux techniques de radiologie classiques.
Quel est l’enjeu ? Dans les traitements oncologiques par immunothérapie, la présence de graisse brune pourrait être corrélée à une réponse plus favorable. Disposer d’un outil non invasif, rapide et facilement intégrable aux protocoles existants ouvre la voie à une médecine personnalisée de nouvelle génération.
La startup a été finaliste du prestigieux concours EIT Health Catapult et vient d’annoncer une levée de fonds de série A. Elle prévoit le lancement d’essais cliniques multicentriques sur plusieurs continents dès fin 2024. Derrière cette idée simple se cache une disruption potentielle de l’imagerie diagnostique, dans un marché mondial en forte croissance.
NanoSyrinx : une seringue moléculaire… tirée des bactéries
Née à Lyon et aujourd’hui installée à Nantes, NanoSyrinx a développé une technologie inspirée de nanostructures bactériennes capables de perforer les membranes cellulaires pour y délivrer des charges utiles. L’objectif ? Transférer des protéines thérapeutiques — voire des enzymes ou anticorps — directement dans les cellules, avec une précision inégalée.
En d’autres termes, NanoSyrinx propose une nouvelle génération de vecteurs intracellulaires, alternatifs aux vecteurs viraux classiques ou aux nanoparticules lipidiques. Dans un contexte post-COVID où les techniques d’administration ciblée sont au cœur des biotechs (cf. les récentes IPO dans le domaine), la promesse est immense, notamment en immuno-oncologie et en maladies rares.
La société a récemment clos un tour de financement Seed de 8,5 millions d’euros, mené par des fonds spécialisés en deeptech. Elle collabore également avec plusieurs laboratoires publics, dont l’Inserm, pour affiner ses modèles précliniques.
Upstream Bioengineering : l’industrie des ferments repensée
À la croisée de la bioindustrie et de la fermentation de précision, cette jeune pousse grenobloise s’attaque à un enjeu très concret : l’optimisation des procédés de fabrication de biomolécules (protéines recombinantes, enzymes, arômes, etc.). Grâce à une plateforme de design cellulaires basée sur l’intelligence artificielle et la biologie synthétique, Upstream propose de reprogrammer les micro-organismes hôtes pour maximiser leur rendement, tout en réduisant le coût de production.
Pourquoi est-ce stratégique ? Parce que, dans les domaines de la santé comme de l’agroalimentaire, les contraintes économiques liées aux cultures cellulaires freinent souvent l’exploitation industrielle. La promesse d’une biofabrication plus efficiente séduit ainsi les acteurs de la cosmétique, des ingrédients agricoles, mais aussi de la pharma (API biologiques, vaccins…).
Après une pré-série A bouclée fin 2023 auprès de Serena Capital et d’Innovacom, la société vise un développement commercial en BtoB sur les marchés américains dès 2025. L’évolution des partenariats sera à surveiller, notamment avec des CDMO ou des industriels déjà engagés dans une transition bio-based.
NEUROTEC Pharma : viser les maladies neurologiques dans leur complexité
Basée à Strasbourg, NEUROTEC Pharma s’inscrit dans une approche intégrative du traitement des pathologies neurodégénératives, à travers une plateforme multi-cibles capable d’agir sur plusieurs mécanismes pathogéniques simultanément. L’entreprise développe notamment des petites molécules capables de moduler à la fois l’inflammation neurogliale, le stress oxydatif et la protéostasie.
En décalage avec les approches monothérapeutiques classiques, cette stratégie “polytarget” s’avère particulièrement pertinente face à des maladies complexes comme Alzheimer ou Parkinson. Aujourd’hui en phase de pharmacologie préclinique avancée, NEUROTEC collabore étroitement avec les équipes du CHU de Strasbourg ainsi que l’ICM à Paris pour valider biologiquement ses premiers leads.
Le choix assumé de ne pas se précipiter sur la clinique, en misant plutôt sur une preuve de concept robuste soutenue par de la modélisation numérique (via des partenariats avec Inria), constitue l’un de ses différenciateurs. Un pari audacieux ? Peut-être. Mais qui pourrait créer un précédent si les résultats 2024 sont à la hauteur des attentes — notamment pour convaincre des pharmas en quête de nouvelles dynamiques en neuroscie.
Un paysage biotech français en mutation
Derrière ces cinq exemples se dessine en filigrane un paysage biotech français de plus en plus diversifié, où convergent innovation technologique, modèles économiques réalistes et ouverture à l’international. On note également un changement de paradigme : la “deep science” n’est plus une fin en soi, elle devient le socle d’un projet d’entreprise calibré pour le marché.
Que ce soit dans la production cellulaire, l’imagerie médicale, l’acheminement intracellulaire, la biofabrication ou les neurosciences, ces start-up ont en commun un ADN scientifique solide assorti d’un sens de la mise à l’échelle. Si la biotech française poursuit sur cette trajectoire, elle pourrait s’imposer non seulement comme une pépinière d’innovations, mais comme un acteur industriel crédible à l’échelle globale.
Reste à voir comment le tissu réglementaire, les capacités de financement en séries B et C, et les stratégies de maturation clinique accompagneront ces ambitions. Mais une chose est sûre : 2024 sera une année charnière pour la génération montante des biotech françaises.
