Les secteurs de la finance et des biotechnologies ont longtemps évolué en parallèle, sans réel point de convergence, si ce n’est lors des levées de fonds spectaculaires propres aux biotech. Mais ces dernières années, une nouvelle génération de startups est en train de brouiller les frontières entre ingénierie moléculaire et mathématiques financières. Il ne s’agit plus seulement d’appliquer des modèles économiques aux biotechnologies, mais bien d’envisager la finance comme un moteur d’innovation biologique — et inversement. L’émergence d’initiatives hybrides, à la croisée de ces deux verticales, annonce une mutation structurelle du paysage biotech. Vers une alliance durable entre biotech et fintech ? Les indices sont nombreux, et les implications majeures.
Quand la donnée biologique devient matière première financière
La première zone de friction – ou plutôt de fertilisation croisée – se situe dans la gestion et la valorisation des données issues du vivant. Les biotechs génèrent des volumes astronomiques de données omiques (génomique, transcriptomique, protéomique…), souvent sous-exploitées, coûteuses à traiter et difficiles à sécuriser. De leur côté, les fintechs ont bâti leur savoir-faire sur l’analyse de données complexes en temps réel, l’automatisation des processus et la modélisation prédictive. Une synergie naturelle commence donc à émerger.
Un bon exemple est celui de DynamoFL, une startup californienne spécialisée dans le machine learning respectueux de la confidentialité (« federated learning »), qui a récemment étendu son périmètre d’action aux données de séquençage. En intégrant les standards de sécurité issus de la finance à l’analyse génétique, DynamoFL offre une solution permettant aux biotech de collaborer sans exposer leurs données sensibles, renforçant ainsi la monétisation sécurisée des jeux de données biologiques.
Des modèles économiques biotech inspirés de la finance
Sur le plan business, les méthodologies issues du monde financier infiltrent peu à peu les structures biotech. La tokenisation — rendue possible par les cryptoactifs — s’invite dans les modèles de propriété intellectuelle des biothèques numériques. En clair, certains acteurs expérimentent la cession de droits d’exploitation de molécules ou de lignées cellulaires via des jetons numériques, traçables et échangeables. C’est le pari de LabDAO, une organisation décentralisée visant à rendre l’accès aux protocoles biologiques plus agile, grâce à la blockchain. Un brevet, une séquence, un protocole peuvent devenir des actifs tokenisables, modifiant profondément l’accès et la répartition de la valeur dans ce secteur très capitalistique.
On voit aussi apparaître des instruments de financement innovants calqués sur les modèles de la finance structurée, à l’image des biolabs eux-mêmes transformés en “asset-backed facilities”. Aux États-Unis, Life House Ventures propose ainsi un modèle d’incubateur où les locaux, équipements et data sont mutualisés, et où les participations dans les startups hébergées sont cédées à des fonds via un système de tranches, à l’instar des véhicules d’investissement collatéralisés.
Des fintechs qui se tournent vers les sciences de la vie
La convergence n’est pas seulement tirée par la biotech, mais aussi par les fintechs elles-mêmes, désireuses de pénétrer des marchés à haute complexité règlementaire mais fortement solvabilisés. La santé, tout particulièrement lorsqu’elle est adossée à la biotechnologie de précision, séduit par son potentiel de personnalisation et de récurrence.
Des acteurs comme Synapse Medicine (France), bien que classés à l’origine dans la santé digitale, commencent à flirter avec des outils traditionnellement financiers comme les chips d’IA explicable pour optimiser la prise de médicaments à l’échelle populationnelle. D’autres, comme Human API ou Verituity, s’érigent en brokers de données de santé, opérant à la lisière du KYC bancaire et des biomarqueurs comportementaux. Ces plateformes facilitent le passage de l’information de santé au format exploitable pour des compagnies d’assurance, des mutuelles ou même des investisseurs spécialisés dans le capital-risque.
Au Japon, la start-up Aculys va encore plus loin, intégrant nativement une couche fintech dans ses solutions biopharmaceutiques. Elle propose à ses clients et partenaires des modèles de remboursement dynamiques, où le versement est corrélé à la réponse biologique du patient, enregistrée en temps réel. Autrement dit, un remboursement adaptatif basé sur la performance thérapeutique — une idée inspirée des contrats d’assurance-vie à prestations variables.
La montée en puissance des Bio-FinTechs
Des startups à part entière s’identifient aujourd’hui comme des “BioFinTechs”. Elles ne se positionnent pas en simples intermédiaires technologiques, mais comme catalyseurs d’un nouveau paradigme économique. Leur objectif : intégrer pleinement les modèles financiers à l’infrastructure biotech.
On peut citer ici daXChain, une start-up basée entre Zurich et Berlin, qui développe une plateforme de négociation d’actifs biotech, avec une logique de “market making” propre aux places financières. Leurs algorithmes valorisent les données biologiques selon leur rareté, leur niveau de validation clinique, ou encore selon les corrélats économiques observés sur les essais passés. Une séquence d’ADN ou un profil d’expression protéique peut ainsi être traité comme un actif spéculatif, à l’instar d’une action ou d’un token.
Certains incubateurs, à l’image de BIO-X Fund à Singapour, militent pour que les startups biotech adoptent dès leur création des logiques de pilotage performanciel et de reporting financier inspirés des fintechs. On ne parle plus seulement de burn rate ou de runway, mais aussi de smart contracts, de modèles stochastiques ou d’analyse prédictive du succès clinique. Des API sont même développées pour automatiser le monitoring de ces indicateurs auprès des investisseurs.
Enjeux et limites de cette convergence
Ce mouvement hybride soulève évidemment un certain nombre de questions. La financiarisation de l’innovation biologique n’est pas sans risques : la spéculation sur des données biologiques, la tokenisation excessive de la découverte scientifique ou encore le verrouillage d’actifs thérapeutiques dans des “data vaults” numériques pourraient perturber les fondements éthiques du secteur.
Par ailleurs, la complexité réglementaire augmente. Faut-il appliquer les lois sur les actifs numériques à des biomarqueurs ? Un token biologique est-il un security ? Quelle régulation pour une plateforme de trading d’essais cliniques ? Autant de dilemmes qui impliquent une collaboration étroite entre autorités financières, agences de santé et clusters biotech.
Enfin, cette convergence impose de nouvelles compétences hybrides. Le profil du data scientist biomédical ne suffit plus : place au “biotech quants”, ces professionnels capables de décrypter à la fois une amorce d’ARN et une modélisation de risque systémique. Les écoles d’ingénieurs et de commerce commencent d’ailleurs à réagir, avec des formations communes autour de la « bioéconomie quantitative ».
Une opportunité de transformation pour l’écosystème biotech
Loin d’être anecdotique, la montée en puissance des synergies entre biotech et fintech témoigne d’une évolution majeure de l’écosystème. Au-delà des levées de fonds traditionnelles, c’est toute la chaîne de création de valeur — de la donnée à la mise sur le marché — qui peut être revisitée à l’aide de modèles issus de la finance digitale.
Pour les startups biotech, cela signifie davantage de souplesse dans la structuration de leur capital, mais aussi une accélération potentielle du “time-to-market”. Pour les investisseurs, c’est la promesse d’une traçabilité fine, en temps réel, des KPIs scientifiques et financiers. Enfin, pour les patients, c’est peut-être l’émergence d’un système de santé plus dynamique, plus personnalisé, et potentiellement plus efficient.
En somme, il ne s’agit plus de savoir si biotech et fintech vont converger — mais à quelle vitesse, et avec quelles conséquences structurantes pour la chaîne de l’innovation biomédicale. Ce tableau mouvant, riche en expérimentations pionnières, conforte un sentiment partagé chez nombreux acteurs industriels : demain, vendre des traitements, ce sera aussi modéliser, tracer, prédire — bref, intégrer l’algorithme comme autant de briques fondatrices de la valeur thérapeutique.