Lever des fonds en biotechnologie : enjeux et spécificités
Lever des fonds dans le secteur des biotechnologies est un exercice à la fois exigeant, stratégique et, disons-le franchement, semé d’embûches. Contrairement à d’autres secteurs plus immédiats en termes de retour sur investissement, le développement de solutions biotechnologiques nécessite souvent plusieurs années de recherche, des infrastructures spécialisées et une régulation rigoureuse avant d’atteindre le marché. Dès lors, convaincre un investisseur de miser sur une idée qui mettra (au mieux) 7 à 10 ans à générer du chiffre d’affaires relève presque de l’art — mais un art avec ses codes, ses temps forts, et quelques règles incontournables.
Ce panorama vise à fournir une vision claire et pragmatique aux porteurs de projets biotech. Qu’il s’agisse d’un premier tour de table ou d’un financement de série B, chaque étape obéit à des dynamiques spécifiques.
Comprendre ce que cherchent les investisseurs dans la biotech
Le financement early stage dans les biotechnologies diffère considérablement des investissements tech traditionnels. Ici, pas d’itération rapide ni de MVP en deux mois. Une start-up biotech, c’est avant tout :
- Un projet scientifique à fort risque technologique
- Un horizon long où les retours sur investissement sont incertains
- Des besoins de financement récurrents, souvent bien avant les premiers jalons cliniques
Alors, pourquoi des investisseurs acceptent-ils de plonger ? Parce que la récompense peut être colossale. On parle d’innovations de rupture, avec des perspectives de licencing, d’acquisitions ou de mises sur le marché générant plusieurs centaines de millions d’euros. Mais encore faut-il que l’équipe fondatrice sache rendre crédible le pari.
Ce que les investisseurs veulent voir ? Un proof of concept solide, une propriété intellectuelle bien positionnée, une équipe cofondatrice complémentaire et une vision claire de la régulation à franchir. Le marché visé — sa taille, sa structure, sa compétitivité — est également scruté à la loupe.
Bien structurer sa levée de fonds : à chaque étape ses objectifs
Avant de solliciter un investisseur, il est crucial de bien délimiter le type de financement que l’on recherche et l’étape de maturité du projet. Une jeune biotech en pre-seed n’a pas les mêmes leviers ni contraintes qu’une entreprise en série A clinique. Voici une cartographie simplifiée des grandes étapes :
- Pre-seed : amorçage par subventions publiques (BPI, incubateurs, financements européens type EIC), apports personnels et premiers business angels. Objectifs : développer le concept, sécuriser la PI, recruter un premier chercheur.
- Seed : premiers VCs spécialisés ou family offices. Objectifs : générer des données précliniques, valider un modèle in vivo, construire une preuve de faisabilité économique.
- Séries A/B : investisseurs institutionnels, VCs internationaux, éventuellement entrants industriels. Objectifs : passer en phase réglementaire, débuter les essais cliniques, structurer l’équipe de management.
Plus on avance, plus les exigences de due diligence augmentent. Il est donc essentiel d’anticiper tous les documents de data room : contrats de PI, historique de levée, statuts, protocole d’accord, études de marché… Un investisseur ne parie pas sur une intuition, il mise sur une entreprise capable de structurer la complexité.
Pérenniser sa stratégie de financement : du storytelling à la trajectoire
Une levée de fonds, ce n’est pas seulement des chiffres alignés dans un deck. C’est avant tout une histoire claire et crédible à raconter. Pourquoi vous ? Pourquoi ce projet ? Pourquoi maintenant ? Ce « storytelling », loin d’être un artifice marketing, est un outil au service de la cohérence stratégique.
Beaucoup de start-ups biotech peinent à transformer leur discours scientifique en une proposition de valeur compréhensible. Une formulation technique comme « inhibiteur KRAS G12C » peut tourner court si elle n’est pas reliée à un besoin thérapeutique, une incidence sur la survie ou un positionnement par rapport au standard of care. Bref : transformer la science en impact.
Le pitch deck, souvent sous-estimé, devient ici un atout majeur. Il doit articuler :
- Le problème de santé visé
- La solution technologique spécifique
- Les premières validations expérimentales
- La feuille de route et les milestones financés
- Le plan de valorisation : co-développement, licensing ou commercialisation directe
Les acteurs clés du financement biotech actuel en Europe
Le paysage du financement en biotech s’est considérablement professionnalisé ces dernières années. Si la France reste dynamique au niveau des subventions publiques grâce à des dispositifs comme i-Lab, Deeptech BPI ou le plan France 2030, elle peut encore compter sur un écosystème d’investisseurs de plus en plus spécialisés.
On observe l’émergence de fonds purement biotech comme Sofinnova Partners, Truffle Capital, AdBio Partners ou Kurma Partners. Côté Europe, les fonds internationaux (Forbion, LSP, Medicxi) jouent un rôle clef en série A et B. Les corporate ventures ne sont pas en reste : Boehringer Ingelheim Venture Fund, Novartis Venture Fund ou encore Roche Ventures s’intéressent de près aux technologies différenciantes.
Quant aux modèles de collaboration, ils évoluent : le co-développement avec des big pharmas, le reverse licensing ou encore des incubateurs corporate comme BioLabs ou JLABS apparaissent désormais comme des voies d’accélération alternatives à la levée classique.
Préparer la négociation : valorisation, dilution et gouvernance
Côté table de négociation, les biotech doivent arriver armées. L’enjeu dépasse ici le montant levé : il s’agit d’établir un équilibre entre besoin en capital et dilution, tout en gardant une gouvernance saine. Attirer un fonds trop dominant trop tôt peut limiter les marges de manœuvre futures, alors qu’un tour trop modeste oblige à retourner au démarchage six mois plus tard.
Les critères de valorisation reposent souvent sur :
- Le niveau de maturité technologique (clinique ou préclinique)
- Le degré de validation scientifique (in vitro, in vivo, modèles pathologiques pertinents)
- La taille et potentiel du marché cible
- La qualité du management et des partenaires cliniques
Le pacte d’actionnaires est un autre point sensible : board seats, clauses de liquidité, anti-dilution, priorisation des dividendes… Rien ne doit être signé sans relecture juridique compétente.
Des exemples concrets : lever en contextes réels
Les témoignages d’entrepreneurs illustrent les trajectoires très disparates mais inspirantes. Genomic Vision, par exemple, avait démarré sur des fonds publics et de l’Angel investing avant de séduire des institutionnels grâce à la validation de son outil de diagnostic dans des études collaboratives. Même logique pour TreeFrog Therapeutics qui a su sécuriser une levée de 64 M€ en série B après avoir démontré l’extensibilité industrielle de sa technologie de production de cellules souches.
À l’inverse, certaines biotech échouent faute d’avoir aligné leurs priorités scientifiques avec les besoins du marché ou en s’enfermant trop tôt dans une logique « spin-off académique » peu adaptée aux exigences commerciales.
Retenons qu’il n’y a pas de modèle unique. Mais une constante demeure : la capacité d’adaptation tant scientifique que stratégique est la meilleure précaution que puisse prendre une biotech dans son parcours de financement.
Envisager l’après : bâtir une trajectoire vers la maturité
Lever des fonds n’est pas une fin en soi. C’est un outil au service d’une exécution rigoureuse. Or, cette exécution passe par des choix structurants : renforcer le board avec des profils expérimentés, préparer la compliance réglementaire dès la pre-clinique, soutenir un plan de publication crédible dans des revues à comité, et surtout garder le lien avec le marché cible, qu’il soit hospitalier, industriel ou grand public.
Avec la montée des biotech industrielles, environnementales ou agricoles, un nouvel équilibre est en train de se dessiner : on n’oppose plus recherche fondamentale et logique de marché, on les articule. C’est peut-être là le vrai tournant stratégique des années à venir.
Et si la prochaine licorne biotech européenne était incubée dans un laboratoire universitaire… et coachée dès le début comme une entreprise ? L’écosystème semble enfin mûr pour que ce pari devienne réalité.
