En matière de diagnostic médical, chaque minute compte. Pour les pathologistes chargés d’analyser des milliers de lames chaque année, la précision est reine, mais la charge de travail est titanesque. Face à cet enjeu, la startup française Ummon HealthTech mise sur l’intelligence artificielle pour transformer la pathologie en profondeur. L’objectif ? Réduire drastiquement les délais d’analyse tout en renforçant la fiabilité des diagnostics. Une ambition à l’intersection de la médecine de précision, de l’IA et d’un besoin de modernisation criant du secteur.
Un constat alarmant : le manque critique de pathologistes
Le secteur de l’anatomopathologie fait face à un paradoxe : une quantité croissante de biopsies à analyser, et un nombre de pathologistes qui ne suit pas. En France, 70 % des spécialistes du diagnostic histologique ont plus de 55 ans, annonçant une vague de départs à la retraite prochaine. Dans certains territoires, les délais d’analyse dépassent allègrement les deux semaines, avec des impacts directs sur la prise en charge thérapeutique.
Ummon HealthTech s’est emparée de cette problématique dès sa création en 2020. Basée à Lyon, et fondée par Louis Grandjean et Quentin Raffenoux, tous deux issus du domaine de l’IA et des sciences de la vie, la jeune pousse développe des outils d’aide au diagnostic automatisé à base d’apprentissage profond.
Une solution logicielle au service des pathologistes
L’offre d’Ummon repose sur une brique logicielle baptisée UmmonIA, conçue en partenariat avec plusieurs laboratoires hospitaliers et privés. L’outil s’intègre directement aux scanners de lames existants pour analyser en temps réel les images issues de prélèvements biologiques.
Le système repose sur des algorithmes d’apprentissage supervisé, entraînés à détecter des marqueurs histologiques caractéristiques de différentes pathologies, notamment cancéreuses. Actuellement, UmmonIA se concentre sur trois premières indications :
- le cancer du sein
- le cancer colorectal
- les mélanomes
Selon les premiers retours utilisateurs, l’outil permettrait de réduire le temps de pré-analyse de plus de 50 %, tout en maintenant, voire en améliorant, la qualité et l’homogénéité du diagnostic. Loin de remplacer les médecins, UmmonIA se présente comme un copilote : il signale les zones suspectes, hiérarchise les priorités et soulage les praticiens d’une part du travail répétitif.
Un modèle ouvert, compatible avec l’écosystème hospitalier
Contrairement à d’autres solutions propriétaires qui imposent un matériel spécifique, Ummon a opté pour un modèle logiciel interopérable. Son IA est compatible avec toutes les plateformes de scanner de lames standardisées (Philips, Leica, Hamamatsu, etc.), ce qui facilite grandement son adoption.
« Notre volonté est d’intégrer notre technologie sans perturber les flux hospitaliers existants. L’IA doit s’adapter au quotidien des pathologistes, pas l’inverse », souligne Louis Grandjean, CEO d’Ummon.
Un partenariat structurant vient d’ailleurs illustrer cette stratégie : début 2024, Ummon a signé un accord avec l’AP-HP pour amorcer une phase pilote dans plusieurs établissements franciliens. L’objectif ? Tester la performance des algorithmes sur un large volume de cas cliniques en situation réelle.
Levée de fonds, croissance accélérée
Portée par le besoin aigu d’innovation dans le secteur, Ummon HealthTech a rapidement convaincu les investisseurs. En octobre 2023, la startup a levé 4,2 millions d’euros auprès du fonds Elaia Partners, de Crédit Agricole Innovations et Territoires et de plusieurs business angels issus du monde médical.
Ce financement vise à renforcer les équipes R&D, à obtenir les certifications réglementaires CE et FDA indispensables à la commercialisation, et à accélérer le déploiement dans les centres hospitaliers en France et en Europe.
« Aujourd’hui, les établissements sont submergés de données biologiques. Nous voulons les aider à tirer parti de cette matière première pour une médecine plus rapide, plus précise et plus efficace », ajoute Quentin Raffenoux, COO de la société.
Un marché mondial en plein boom
La pathologie numérique, soutenue par l’essor de la médecine de précision et de la numérisation des hôpitaux, s’impose comme l’un des secteurs les plus prometteurs du domaine de la santé. Selon un rapport de MarketsandMarkets, le segment de la pathologie assistée par IA devrait croître à un rythme annuel de plus de 13 %, pour atteindre 1,3 milliard de dollars en 2028.
Face à des acteurs bien installés comme Paige.ai ou PathAI aux États-Unis, ou Aignostics en Allemagne, la force d’Ummon réside dans sa capacité à proposer une technologie mature, accessible, et pensée main dans la main avec les utilisateurs finaux. Un avantage compétitif non négligeable dans un secteur où le facteur humain reste capital.
Un pied dans la recherche, l’autre dans l’opérationnel
Pour rester à la pointe, la startup collabore avec plusieurs laboratoires de recherche académique, notamment le Centre Léon Bérard à Lyon. Ces partenariats permettent à Ummon d’accéder à des bases de données histologiques qualifiées, mais aussi d’enrichir ses modèles au contact des dernières avancées scientifiques.
En parallèle, l’entreprise cultive une forte culture produit orientée déploiement. Son équipe – une trentaine de collaborateurs à ce jour – rassemble des profils hybrides : médecins, data scientists, experts réglementaires et ingénieurs informatiques. Cette pluridisciplinarité permet de couvrir tout le cycle de vie du produit, de l’entraînement des algorithmes jusqu’à l’intégration dans les flux hospitaliers.
Des perspectives vers l’international
Après un ancrage solide sur le marché français, Ummon HealthTech prépare déjà son expansion européenne. L’Allemagne, les Pays-Bas et la Suisse sont identifiés comme des cibles prioritaires, notamment en raison de la forte numérisation déjà en place dans leurs services de pathologie.
Mais le véritable horizon est global : dans les pays émergents aussi, où la pénurie de pathologistes est encore plus criante, les solutions d’aide au diagnostic médical à distance peuvent répondre à des besoins essentiels. Un développement à l’international qui devra s’accompagner de certifications locales et d’adaptations aux spécificités réglementaires.
Quand l’IA soutient l’humain, pas l’inverse
Alors que l’intelligence artificielle suscite tantôt espoir, tantôt crainte, l’approche d’Ummon se distingue par sa sobriété. Pas de promesse de remplacement des pathologistes, ni de grands discours futuristes : juste un outil robuste et pensé pour être utile, ici et maintenant.
« Nous sommes convaincus que les avancées en IA ne doivent pas supplanter l’expertise humaine, mais l’enrichir. C’est une logique d’assistance, pas d’automatisation intégrale », rappelle Louis Grandjean. Une philosophie qui semble porter ses fruits, à en juger par l’intérêt croissant des établissements de santé pour des outils pragmatiques, interopérables et validés sur le terrain.
À l’heure où les technologies biomédicales redessinent les contours du diagnostic, des entreprises comme Ummon HealthTech montrent qu’il est possible d’allier innovation, rigueur réglementaire et impact concret sur la chaîne de soins. Et dans un monde où chaque jour gagné dans la détection d’un cancer peut sauver une vie, cette course à l’efficacité, elle, ne relève pas de la science-fiction.